Copie non conforme – Extrait

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  • Publication publiée :4 février 2019
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Pauvre cellule familiale, tu ne résistes pas aux charmes de cette époque où l’on gère pour toi la sécurité de l’emploi, la sécurité sociale et la retraite. Ton existence est mise en danger parce que la solidarité dans la famille fait place à l’expression permanente de l’intérêt personnel. C’est la loi qui te protège qui te prive de tes bons offices au profit de l’harmonie que chacun recherche pour lui même. Ce n’est pas nouveau, l’idée que l’on se fait de sa place dans la société évolue en même temps que la vague de textes protecteurs qui déferle sans précaution sur ta communauté. La raison et l’administration tentent de remplacer l’amour. Eclatante indécence que cette hécatombe que subissent nos ainées lorsque la grippe ou la canicule font leur apparition. «Nos Vieux » ont le droit à notre reconnaissance et à nos soins.

Cette vielle dame du vingtième siècle les avait elle reçu de son mérite? La guerre l’avait privée de son mari. Elle, une poliomyélite que l’on ne soignait pas à l’époque, l’avait privée de ses jambes et un peu plus.

Son bel officier français en grand uniforme de l’armée coloniale était parti pour assainir les marais infestés de moustiques, d’une région d’Afrique du Nord, avec la compagnie qu’il commandait, au nom de cette solidarité qu’aujourd’hui on foule aux pieds parce que la terre appartient aux peuples, pas à la France. Il n’en était pas revenu, mort de la fièvre des marais (malaria) et de l’illusion d’avoir servi sa patrie et peut être les amis qu’il s’était fait là bas. Elle, son infirmité l’avait rendue dépendante de sa fille. Elles avaient, toutes les deux traversé une autre guerre, tapies dans des abris ou au service obligatoire de l’envahisseur dans la maison de la famille.

Sa fille unique avait épousé un brave homme qui avait accepté de s’occuper de sa belle mère. Le couple avait fait de beaux enfants.

Cette belle et grande dame immobile percevait trop bien la charge qu’elle représentait pour sa famille qui lui reprochait doucement d’être responsable d’une vie bien terne. Les années folles, les siens ne les avaient pas vécues. La dame aux cheveux blancs portait son infirmité et ses peines avec dignité et retenue. Son seul bien était une photographie de son mari en grand uniforme, à cheval. Elle avait perdu ses jambes, une grande partie de sa vie mais pas son cœur.

Comme pour alléger le poids d’une culpabilité qui tordait son ventre, elle distribuait, à ces petits enfants, la bonté et l’amour parce que sa vie en dépendait. Lorsque l’un d’entre eux, petit bonhomme d’à peine quatre ans avait découvert d’étranges signes cabalistiques sur la photographie, elle lui avait appris à lire et puis à compter aussi. Ce tout petit bonhomme subjugué par ses boucles blanches, son attention de tous les instants et ses airs de princesse de conte de fée, lui vouait une admiration infinie. Elle avait suscité chez lui une soif d’apprendre et de découvrir. Elle l’avait  accompagné jusqu’au bout parce qu’une relation d’une tendresse très profonde unissait les deux êtres et qu’elle en percevait les bienfaits.

Elle ne s’était pourtant pas débarrassée du mal qui la rongeait, le serpent mordait ses entrailles chaque jour un peu plus. On l’a conduite à l’hôpital ; elle ne pouvait plus retenir ses gémissements et même pas partager sa souffrance. Elle qui n’avait pas été épargnée par la vie avait dépensé ses dernières forces pour que ses petits enfants lisent dans ses yeux le dernier remerciement qu’elle leur adressait d’avoir adoucit son calvaire. Les petites mains qui disparaissaient dans la sienne avaient grandi : l’amour n’est pas morte. 

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