Le complotiste – Extrait

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  • Publication publiée :17 décembre 2019
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Ludo avait pris une mauvaise décision. Il aurait voulu la retenir et continuer de partager la passion. Il n’avait pas saisi cette exhortation, cachée dans une expression pleine de retenue, à la rejoindre en Chine ; il ne l’avait pas compris, ou bien l’entreprise était-elle au-dessus de ses moyens. Que ne s’était-il précipité à l’aéroport pour l’empêcher de partir ? Il aurait su trouver les mots que son cœur lui soufflerait. Au lieu de tout cela, sa lâcheté l’avait conduit à accepter, à ne rien mériter d’elle, à préférer son confort et son égo. Il était resté au pied de l’escalier.

La mauvaise décision c’est ce qu’il se répétait tous les jours. Il avait passé le premier jour sans elle à boire à la terrasse d’un café. Il s’était couché ivre mort dans le caniveau et ne l’avait plus quitté. Exclu de son cercle d’amis, exclu de son IEP, exclu du monde ; il croyait qu’il pouvait se punir de n’avoir pu sauver le seul véritable emballement qui avait illuminé sa vie. Il trouvait des justifications dans les verres d’alcool ; il en était arrivé aux bouteilles qu’il tétait avidement ; le liquide précieux était le moteur principal de sa vie. Pour attirer la compassion, il avait tenté plusieurs fois de se suicider ; même sa famille ne supportait plus ses séjours à l’hôpital. Il était celui qui croit avoir vécu et pouvoir passer le reste de son temps à provoquer la mort. Il ne sait rien d’elle, l’imbécile, mais il dit qu’elle sera moins dure que la douleur. Sa condition le poursuit chaque nuit jusqu’à ce rêve étrange mettant en scène sa bouteille :

elle est là, présente et l’entoure d’un voile hypnotique. Il est assis à sa table de travail les yeux fixés sur une feuille de papier virtuelle. La garce lui prodigue des caresses animales. Nue, lascive, elle l’entoure de ses bras menus et quand il veut la posséder, elle se dérobe en riant. Il la supplie et quand il peut la tenir, l’étrangler de ses pauvres mains, elle s’évanouit comme le filet d’eau dans le sable de la dune. Il sait qu’il doit arracher la chape qui l’enserre, mais elle s’empare d’un repli de son âme et réapparait. La voilà, plus puissante encore, qui occupe la place. La bête se délecte de ses neurones, se repait de ses souvenirs. Il crie qu’elle le libère, qu’elle cesse cette débauche maléfique. Mais l’autre mène grand train et la supplique n’a pour effet que d’augmenter la souffrance et l’emprise. Abruti de douleur, pantin désarticulé, vidé de sa substance, épuisé, il s’abandonne à sa maitresse.

La mort le réveille, elle est en colère.

  • « Vous n’avez pas le droit de décider de terminer votre vie. J’ai ce droit. Votre terme n’est pas échu.
  • Je croyais que vos intentions cruelles s’étaient révélées et que vous m’attendiez en savourant votre victoire prochaine. Ma vie ne sert à rien, je n’ai plus de passion, l’amour est morte.
  • La mort fait partie de la vie, mais vous l’avez, seul, transformée en enfer. Cuvez votre vinasse, vous n’avez pas besoin de pareille compagne ! Vous possédez une faculté qui vous différencie des rats qui courent entre vos jambes la nuit, c’est le libre arbitre. Ecoutez le vent et cessez de poursuivre votre égo ! »

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