Lettre à Marcel Trougnard

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Publication publiée :8 février 2019
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Cher Marcel,

tu es un personnage connu, très connu, quasi universel. Tu te caches à la une des communautés, des pages Facebook, Tweeter, Linkedin, des réseaux sociaux, ton boulot est de mettre en scène des morceaux de vie. Tu fréquentes les lieux branchés, les terrains de sport, les milieux politiques. Tu es à la fois le chantre de la moraline et de la bien-pensance de gauche ou de droite. Bref on te rencontre sur les médias aussi bien que dans les diners en ville. Même si ta pudeur simulée ne t’autorise que le strapontin des communicants, tes interventions sont remarquées, tes remarques silencieuses et tes silences piaillards. Tu es le plus populaire le plus présent et le plus obsédant des personnages virtuels.

Tu as lu Pierre Dac dans tous les sens et tu vérifies à chaque seconde qu’il est préférable d’être « ailleurs lorsqu’autre part n’est plus ici ». Ta saynète est réglée lorsque le bon sens est mis une nouvelle fois en échec et que cernées par les « à quoi bon » tes victimes te crient : « sers nous z’en un autre Marcel ». Tu n’es concerné que par les singularités dont les médias se font écho. Tu as toutes l’expérience et l’expertise du monde, tu as tout vu, tout fait et tu es capable de parler merveilleusement bien de ce que tu ne connais pas. On ne te découvre pas par hasard ; ta révélation, ton dévoilement sont le produit de la suffisance de tes contemporains. Tout d’un coup, tu les pares de ta splendeur.

On raconte que tu serais né de l’esprit étonné d’un enfant lors de la coupe du monde de football en 2010. Ce petit bonhomme aux yeux bleus des mers du sud un jour de tempête s’étonnait à la fois que l’on pût se commettre à regarder un tel spectacle plutôt que le dernier Tex Avery et de voir s’écrouler de douleur des joueurs chaque fois que le vent caressait leurs cheveux. Cela avait suscité une interrogation très respectueuse, quant à l’état de santé mentale des grandes personnes.

Il s’était dit qu’il fallait inventer un personnage qui serait le miroir de tout ce qui est faux–semblant. Il a donné un prénom et un nom, Marcel Trougnard, à ce reflet comme s’il pouvait déjà qualifier sa part d’ombre. Il t’a créé ou simplement perçu de l’image du monde que délivraient à l’instant, les petits écrans. Sa curiosité et son innocence si brillante, si pleine d’amour ont d’un seul trait d’humour croqué les adultes mieux que le sociologue expérimenté.

Le monde, en retour, doit bien à ce petit homme un tour de manège, une toute petite centaine d’années pour l’explorer et le façonner sans un Trougnard sur son chemin.

Voilà tous ces raisonneurs de l’absurde, ces marchands de sophismes, ces dialecticiens du ridicule, ces mécaniciens du cliché, avertis. Le petit bonhomme arrive dans leurs espaces sauvagement armé de l’expérience du Marcel, prêt à en découdre avec tous ceux qui oseraient mettre des barrières autour de son imagination, des limites à son horizon. C’est lui le changement et c’est maintenant, parce qu’il accepte de la  vie toutes les leçons qu’il renvoie avec esprit dans son monde dont est exclue toute médiocrité.

On l’avait instruit à craindre et à obéir sans s’apercevoir qu’il pourrait en tirer arrogance ou soumission. On lui avait dit combien il pouvait être fier d’imiter ses parents. Fort heureusement, il n’avait pas manqué d’en tirer originalité, hardiesse et indépendance. Même pas adolescent, il ouvre une brèche dans un mur de suffisance: plus besoin de lui tenir la main, sauf si « sagesse est amour plutôt que raison » (A. Gide).

Merci Mr Trougnard d’éclairer bien malgré toi ce qui est lui-même et ce qui est délicatesse du cœur.

Laisser un commentaire