Copie non conforme – Le droit des vieux
Pauvre
cellule familiale, tu ne résistes pas aux charmes de cette époque où l’on gère
pour toi la sécurité de l’emploi, la sécurité sociale et la retraite. Ton
existence est mise en danger parce que la solidarité dans la famille fait place
à l’expression permanente de l’intérêt personnel. C’est la loi qui te protège
qui te prive de tes bons offices au profit de l’harmonie que chacun recherche
pour lui même. Ce n’est pas nouveau, l’idée que l’on se fait de sa place dans
la société évolue en même temps que la vague de textes protecteurs qui déferle
sans précaution sur ta communauté. La raison et l’administration tentent de
remplacer l’amour. Eclatante indécence que cette hécatombe que subissent nos
ainées lorsque la grippe ou la canicule font leur apparition. «Nos Vieux »
ont le droit à notre reconnaissance et à nos soins.
Cette
vielle dame du vingtième siècle les avait elle reçu de son mérite? La guerre
l’avait privée de son mari. Elle, une poliomyélite que l’on ne soignait pas à
l’époque, l’avait privée de ses jambes et un peu plus.
Son bel officier français en grand uniforme de l’armée coloniale était parti pour assainir les marais infestés de moustiques, d’une région d’Afrique du Nord, avec la compagnie qu’il commandait, au nom de cette solidarité qu’aujourd’hui on foule aux pieds parce que la terre appartient aux peuples, pas à la France. Il n’en était pas revenu, mort de la fièvre des marais (malaria) et de l’illusion d’avoir servi sa patrie et peut être les amis qu’il s’était fait là bas. Elle, son infirmité l’avait rendue dépendante de sa fille. Elles avaient, toutes les deux traversé une autre guerre, tapies dans des abris ou au service obligatoire de l’envahisseur dans la maison de la famille.
Sa
fille unique avait épousé un brave homme qui avait accepté de s’occuper de sa
belle mère. Le couple avait fait de beaux enfants.
Cette
belle et grande dame immobile percevait trop bien la charge qu’elle
représentait pour sa famille qui lui reprochait doucement d’être responsable
d’une vie bien terne. Les années folles, les siens ne les avaient pas vécues.
La dame aux cheveux blancs portait son infirmité et ses peines avec dignité et
retenue. Son seul bien était une photographie de son mari en grand uniforme, à
cheval. Elle avait perdu ses jambes, une grande partie de sa vie mais pas son
cœur.
Comme
pour alléger le poids d’une culpabilité qui tordait son ventre, elle
distribuait, à ces petits enfants, la bonté et l’amour parce que sa vie en
dépendait. Lorsque l’un d’entre eux, petit bonhomme d’à peine quatre ans avait
découvert d’étranges signes cabalistiques sur la photographie, elle lui avait
appris à lire et puis à compter aussi. Ce tout petit bonhomme subjugué par ses
boucles blanches, son attention de tous les instants et ses airs de princesse
de conte de fée, lui vouait une admiration infinie. Elle avait suscité chez lui
une soif d’apprendre et de découvrir. Elle l’avait accompagné jusqu’au
bout parce qu’une relation d’une tendresse très profonde unissait les deux
êtres et qu’elle en percevait les bienfaits.
Elle
ne s’était pourtant pas débarrassée du mal qui la rongeait, le serpent
mordait ses entrailles chaque jour un peu plus. On l’a conduite à l’hôpital ;
elle ne pouvait plus retenir ses gémissements et même pas partager sa
souffrance. Elle qui n’avait pas été épargnée par la vie avait dépensé ses
dernières forces pour que ses petits enfants lisent dans ses yeux le dernier
remerciement qu’elle leur adressait d’avoir adoucit son calvaire. Les petites
mains qui disparaissaient dans la sienne avaient grandi : l’amour n’est pas
morte.
Le Noir au joues: un petit bout de rue
Le 25 de
l’avenue de Saint-Ouen, quelques centaines de mètres après la Fourche, c’est à
Paris seulement que l’on peut trouver ce genre d’endroit totalement invraisemblable.
C’est un coquet bout de rue qui a décidé un jour de se payer un coin d’amour,
un coin de bonheur. En face, la Cité Pilleux, ancienne rue ouvrière, elle a
gardé les ateliers du rez-de-chaussée et les habitations à l’étage. Toutes deux
vivent une saine émulation encouragée un jour, par le trait de crayon d’un fonctionnaire
du cadastre. Il a coupé en deux l’avenue parce qu’une loi de 1859 rattache au
17e, la Commune des Batignolles-Monceau et une partie seulement du
quartier des Epinettes. On imagine d’âpres négociations entre édiles afin de
récupérer ce bout de territoire. Quoiqu’il en soit à l’Est, c’est le 18e arrondissement,
à l’Ouest le 17e. Au Panama par la magie d’un canal on change
d’Amérique.
A Panam,
c’est en traversant l’avenue que l’on change d’arrondissement, de statut social
et la face du monde aussi ! Ces deux bouts de rues, « rive gauche,
rive droite » se livrent une concurrence féroce dans l’originalité, la
qualité de vie, la protection de leur environnement.
Ils ont
érigé des murailles pour éviter les jets de fleurs ou d’anathèmes dont ils sont
sauvagement armés, mais surtout pour se protéger de l’agression de la vie
parisienne. Il faut montrer patte blanche numérique avant que ne s’ouvrent de
hautes grilles en fer forgé.
Devant ces portes
du temps, il faut s’arrêter et se laisser envelopper par des effluves à l’odeur
de pain frais qui se dégagent d’une petite boutique : une boulangerie
française. On n’a pas prévu le béret, mais le pain que l’on y fabrique de la
main experte d’un artisan de génie, est la preuve incontestable de l’existence
de Dieu. S’il n’est pas mort d’avoir contempler son œuvre, Dieu doit fréquenter
la boutique du Boulanger. C’est dans le quartier le premier endroit où l’on
cause. L’artiste accueille ses clients, souvent ses amis, avec l’amabilité d’un
homme qui sait que son activité nourrit également le lien social. Dans son atelier
« Aux Pains garnis », tout y est fait maison. Il a même obtenu un
prix de la meilleure baguette de tradition. Son petit bonheur à lui, c’est de
rencontrer ceux qui se sont laissés pénétrer par ses parfums subtils ! Il a
fait son Tour de France et même d’Europe car on le trouve à Cologne à Toulouse,
à Strasbourg à Nantes ou à Lyon ; enfin partout ou des artisans inspiré
ont accueilli un Ouvrier pour que se perpétue la tradition du Pain.
L’obstacle
de la grille surmonté, c’est à l’ouïe que s’adresse le petit bout de rue. Le
tumulte de l’avenue de Saint-Ouen fait place au calme. Un havre de paix se
dévoile dans une enfilade d’immeubles de quatre étages et un espace de verdure
aménagé avec un goût exquis. On accroche des fleurs à la fenêtre. L’endroit où
l’on vit est celui que l’on montre le plus volontiers : il faut qu’il
attire le regard. En tout cas, le visiteur a droit à une exposition permanente
ou l’on rivalise de parfums délicats et de robes multicolores. Un festival des
sens et de sérénité qui n’a pas encore attiré les promoteurs immobiliers, les
indigènes de la rue s’en portent très bien.
L’assemblée
des propriétaires et locataires a décidé que le vivre ensemble méritait
quelques règles de bon sens que toutes et tous ont acceptées. Pour un peu un
indice de civisme serait publié chaque trimestre, une sorte de bonheur national
brut comme au Bhoutan.
Ici, la cohésion
sociale n’est pas laissée à la compétence des services de l’Etat, on peut donc
se laisser aller à la jouissance des lieux. Ailleurs on confie à
l’administration l’ingénierie sociale. Voilà une belle expression pour éviter
de dire qu’à Paris on ne connaît pas son voisin. Ici, point n’est besoin de
recourir à des consultants pour dire comment innover, créer, monter des projets.
Le petit bout de rue réinvente la démocratie participative. Il met en œuvre ses
fondements en imitant les centres sociaux et politiques de la Grèce antique. On
organise, lorsque viennent les beaux jours, des banquets. Les débats sont
houleux, mais toujours amicaux. On y parle de copropriété et le syndic met en
forme les décisions le l’aréopage.
Les quatre
étages de chaque immeuble semblent flotter dans un océan de verdure que le vent
fait murmurer lorsque vient l’automne. La musique est si belle que lorsque
cessent ses battements, on les ressent encore. Le temps et l’espace lui appartiennent
comme s’ils avaient décomposé le béton de la machine à habiter.
On se
croirait au paradis, constate le Commissaire Christophe Marian, mais sa
présence bouleverse la sérénité du lieu. La Police investit le bout de rue
parce qu’un meurtre vient d’y être commis. Pour protéger la scène de crime, des
rubalises sont installées immédiatement et les gardiens de la paix relèvent
l’identité des personnes qui entrent ou sortent de l’immeuble. Les passants se
transforment à l’instant en curieux morbides. Les médias, probablement informés
par un indiscret, envahissent l’allée boisée et piétinent sans vergogne le
jardin si inspiré.
Marian,
dans sa déclaration à la presse, indique qu’un certain Le Tallec a été trouvé
mort égorgé à l’aide d’une arme qui n’a pas été retrouvée. La police
scientifique est sur les lieux, les premières auditions sont en cours. La
brigade criminelle de la Préfecture de Paris est saisie des investigations,
déclare le Procureur de la République en arrachant promptement le micro des
mains du Commissaire. À ce stade de l’enquête, la Police ne privilégie aucune
piste, poursuit-il, comme pour donner de la densité à sa déclaration. Le Commissaire
fait évacuer les badauds en jurant contre ces bons à rien qui entravent son
enquête. Il demande aux habitants du bout de rue de rester chez eux. Il réunit
son équipe pour un premier briefing dans un atelier que le régisseur a mis
gentiment à sa disposition. En attendant les délégations du juge d’instruction,
il distribue à chacun les missions d’investigations. Le juge et le Commissaire
ont l’habitude de travailler ensemble, cela devrait permettre de faciliter la
tâche de son équipe.
Nous sommes
le 17 juin 2015, l’action publique est en mouvement.