Théorie de la coquille

Le souffle de créativité qui animait nos ancêtres bute contre le mur des cons, des veaux et récemment des beaufs chers au cœur du comédien François Cluzet. À quelle catégorie de Français peut-il bien appartenir ?

Une foule d’adjectifs qualificatifs et attributs viennent consacrer l’état d’abrutissement dans lequel nous enferme l’intelligentsia de gauche. Ces braves gens soucieux de la santé mentale de nos concitoyens peuvent être remerciés. Ils rêvaient de grandes évolutions sociales, de vivre ensemble, de laïcité, nous voilà aux portes de l’enfer. On ne peut pas les blâmer : ils n’avaient pas d’obligations de résultats ou de moyens. Notre jugement devra porter moins sur leurs actes que sur leurs intentions, essayer de comprendre, éviter de s’enfoncer dans la jungle de leurs contradictions. Pour un peu on effacerait « intelligentsia » du dictionnaire, d’autant que terme « de gauche » n’est pas nécessaire. L’expression appliquée à la droite ferait rire ou grincer ceux qui ont pour toute ambition de nous apprendre à vivre. Elle est à la fois universelle et tautologique et surtout, on ne différentie pas très bien la différence entre une politique de gauche ou de droite.

Nous sommes en France. La perfection, le monopole du cœur et la raison à tout prix nous viennent en droite ligne du siècle des Lumières. Nous avons changé de siècle et perdu la lumière qui éclairait tantôt Liberté, Égalité, fraternité. Un coup de génie des démocrates militants et nous voilà de l’autre côté du mur pour légalité, diversité, communauté.

Pourtant nous avions fait confiance à nos élites. Ils voulaient nous transporter au-delà de l’horizon et emportaient notre adhésion. Ils ont fait trop bon accueil aux marchands. Les libéraux, parce que le mot marchand n’est pas à la mode, pour mieux piéger leur proie utilisent des méthodes qui font recette. Catalogué, claquemuré dans une réalité virtuelle ou dans une communauté, l’individu est vidé de sa substance et sacrifié sur l’autel de la consommation.

Les biens de son monde sont matériels ou spirituels. Noyé dans sa coquille de noix, il se prend pour le roi du monde. Il est nourri de smartphones de berlines allemandes, de hamburgers en carton et de spiritualité distillée par son parti, sa religion, le Grand-Orient ou son think tank préféré. Il est prêt à défendre bec et ongles sa coquille. Oublié la nation et sa devise si prometteuse, chacun pour la communauté, l’état fera le reste.

Le rôle de l’État de ce côté du mur est bien malaisé : concilier des milliers de coquilles qui communiquent à peine entre-elles. Elles ont deux points communs cependant : chacune promeut des règles qui lui sont propres, chacune se compose d’électeurs. L’importance que l’État providence lui accorde est liée à la quantité d’individus qui la composent ou de la quantité de désordre qu’elle est capable de produire ou bien encore de paramètres liés à l’étonnante habileté dont font preuve nos  dirigeants. On peut rayer les mentions inutiles ou bien cocher toutes les cases.

Cette comédie sociale ne produit rien. Tous les gouvernements ont essuyé des échecs cuisants : la réforme de la SNCF, le régime de retraite universel, la reconstruction de l’Europe si petitement construite, en bref la réparation illusoire du pays. La note est salée à la fin des mandats. Les suivants ne feront pas mieux sans briser le mur qu’ils ont eux-mêmes bâti.

 L’ennui est que l’égalité est dans la coquille ainsi que la fraternité et l’enfermement. On peut y entrer simplement ; la sortie est plus difficile. Elle consacre la réussite d’un système (libéral ou ultralibéral) reconstruit de l’échec du marxisme, amputé de valeurs et de principes moraux.

Le très beau texte du manifeste du parti communiste a cessé de faire illusion. Mais, on ne peut pas dire le mal, car l’exclusivité du bien appartient à la communauté.

La coquille est comme un objet informatique. Elle a des propriétés, des méthodes. C’est un conteneur autonome qui contient des informations et concerne un sujet, manipulé dans un programme. Le sujet est souvent quelque chose de tangible appartenant au monde réel. Des boites de pandore que l’on ne se risque pas à ouvrir constituent le tissu de nos sociétés nouvelles. On peut sans coup férir, créer ou tuer, encenser ou abattre, enseigner ou décapiter tout en gardant raison et vertu pourvu que l’on achète le dernier smartphone. Un fardeau de lois, de règles et règlements, un pacte avec ses yeux de ne jamais regarder le concret, des cours de philosophie utilitariste à des imbéciles bêlants cimentent le mur de coquilles. Qui pourrait en questionner l’existence, sans être merveilleux : juste nécessaire ?

Philippe Herbaut le 03/11/2020

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Lettre à Marcel Trougnard

Cher Marcel,

tu es un personnage connu, très connu, quasi universel. Tu te caches à la une des communautés, des pages Facebook, Tweeter, Linkedin, des réseaux sociaux, ton boulot est de mettre en scène des morceaux de vie. Tu fréquentes les lieux branchés, les terrains de sport, les milieux politiques. Tu es à la fois le chantre de la moraline et de la bien-pensance de gauche ou de droite. Bref on te rencontre sur les médias aussi bien que dans les diners en ville. Même si ta pudeur simulée ne t’autorise que le strapontin des communicants, tes interventions sont remarquées, tes remarques silencieuses et tes silences piaillards. Tu es le plus populaire le plus présent et le plus obsédant des personnages virtuels.

Tu as lu Pierre Dac dans tous les sens et tu vérifies à chaque seconde qu’il est préférable d’être « ailleurs lorsqu’autre part n’est plus ici ». Ta saynète est réglée lorsque le bon sens est mis une nouvelle fois en échec et que cernées par les « à quoi bon » tes victimes te crient : « sers nous z’en un autre Marcel ». Tu n’es concerné que par les singularités dont les médias se font écho. Tu as toutes l’expérience et l’expertise du monde, tu as tout vu, tout fait et tu es capable de parler merveilleusement bien de ce que tu ne connais pas. On ne te découvre pas par hasard ; ta révélation, ton dévoilement sont le produit de la suffisance de tes contemporains. Tout d’un coup, tu les pares de ta splendeur.

On raconte que tu serais né de l’esprit étonné d’un enfant lors de la coupe du monde de football en 2010. Ce petit bonhomme aux yeux bleus des mers du sud un jour de tempête s’étonnait à la fois que l’on pût se commettre à regarder un tel spectacle plutôt que le dernier Tex Avery et de voir s’écrouler de douleur des joueurs chaque fois que le vent caressait leurs cheveux. Cela avait suscité une interrogation très respectueuse, quant à l’état de santé mentale des grandes personnes.

Il s’était dit qu’il fallait inventer un personnage qui serait le miroir de tout ce qui est faux–semblant. Il a donné un prénom et un nom, Marcel Trougnard, à ce reflet comme s’il pouvait déjà qualifier sa part d’ombre. Il t’a créé ou simplement perçu de l’image du monde que délivraient à l’instant, les petits écrans. Sa curiosité et son innocence si brillante, si pleine d’amour ont d’un seul trait d’humour croqué les adultes mieux que le sociologue expérimenté.

Le monde, en retour, doit bien à ce petit homme un tour de manège, une toute petite centaine d’années pour l’explorer et le façonner sans un Trougnard sur son chemin.

Voilà tous ces raisonneurs de l’absurde, ces marchands de sophismes, ces dialecticiens du ridicule, ces mécaniciens du cliché, avertis. Le petit bonhomme arrive dans leurs espaces sauvagement armé de l’expérience du Marcel, prêt à en découdre avec tous ceux qui oseraient mettre des barrières autour de son imagination, des limites à son horizon. C’est lui le changement et c’est maintenant, parce qu’il accepte de la  vie toutes les leçons qu’il renvoie avec esprit dans son monde dont est exclue toute médiocrité.

On l’avait instruit à craindre et à obéir sans s’apercevoir qu’il pourrait en tirer arrogance ou soumission. On lui avait dit combien il pouvait être fier d’imiter ses parents. Fort heureusement, il n’avait pas manqué d’en tirer originalité, hardiesse et indépendance. Même pas adolescent, il ouvre une brèche dans un mur de suffisance: plus besoin de lui tenir la main, sauf si « sagesse est amour plutôt que raison » (A. Gide).

Merci Mr Trougnard d’éclairer bien malgré toi ce qui est lui-même et ce qui est délicatesse du cœur.

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